Description du projet

La grande nacre de Méditerranée, coquillage bivalve pouvant atteindre plus d’un mètre de longueur et vivre jusqu’à 40 ans, a toujours été considérée comme une espèce emblématique des prairies de posidonie. Endémique de Méditerranée, elle y vit depuis 5 millions d’années.

Aujourd’hui, cette espèce est en danger critique d’extinction !

PINNA NOBILIS EN QUELQUES MOTS…

La grande nacre est le plus grand coquillage de Méditerranée (80 cm en moyenne et jusqu’à 1,20 m de hauteur) et le deuxième plus grand coquillage au monde après le bénitier tropical (Tridacna gigas).

Endémique de la Méditerranée, la grande nacre est inféodée aux herbiers de posidonie (Posidonia oceanica). Elle vit dans les fonds graveleux, sableux et vaseux et peut s’implanter jusqu’à 60 m de profondeur. Grâce à son pied et aux filaments de son byssus, fixés dans les grains de sable, c’est un coquillage capable d’effectuer des déplacements plus ou moins importants.

Comme la plupart des mollusques bivalves, Pinna nobilis se nourrit de particules en suspension dans l’eau, essentiellement de phytoplancton, d’infusoires (protozoaires ciliés) et de bactéries. Mais elle peut aussi se nourrir de matières organiques puisées dans le sédiment.

Espèce hermaphrodite, elle possède une glande génitale mixte qui produit des cellules sexuelles des deux sexes. L’activité sexuelle a lieu d’avril à septembre, avec un pic entre juin et août.

Ses prédateurs naturels sont la dorade et le poulpe.

Individu de grande taille dans un herbier de posidonie © J.M. Mille

Ancien dessin de Giuseppe Saverio Poli, 1791

La grande nacre héberge entre ses valves un symbionte, le crustacé décapode Pinnotheres pinnotheres. Ce petit crabe aveugle la préviendrait de dangers éventuels en échange de particules nutritives qu’elle aura filtré. Cet échange de bons procédés est une association appelée commensalisme. Le pinnothère peut être remplacé par un autre décapode commensal qui ressemble à un petit homard de 4 cm, la crevette Pontonia pinnophylax.

Par ailleurs, la coquille offre un support à de nombreux organismes qui vont s’installer sur les valves. Ces épibiontes constituent un véritable microcosme témoin de la biodiversité locale : éponges, bryozoaires, algues, ascidies, hydraires, mollusques, etc.

La grande nacre joue un rôle écologique primordial au sein de son écosystème. En effet, ce mollusque filtre les détritus et retient la matière organique en suspension. Un individu est capable à lui seul de filtrer entre 150 et 200 L d’eau par jour et contribue à maintenir une certaine clarté dans son environnement.

Valves entrouvertes laissant voir les branchies – octobre 2018 / La Ciotat ©Samuel Jeglot

Cette espèce est un bio-indicateur de la qualité des fonds et de l’eau du littoral méditerranéen. Sa présence est un signe de bonne santé de l’écosystème marin côtier.

UNE ESPÈCE MENACÉE

Depuis l’Antiquité, l’Homme exerce de nombreuses pressions sur cette espèce. Elle a longtemps été exploitée par les romains qui utilisaient sa nacre pour fabriquer des boutons ou encore se servaient de son byssus pour confectionner des tissus (voir encart « Le saviez-vous ? »).

De nos jours, elle est menacée par la regression des herbiers de posidonie, elle est également victime des ancrages, des engins de pêche, des filets maillants et du chalutage. Par ailleurs, les activités anthropiques entrainent diverses agressions du littoral tels que le rejet d’eaux usées (destruction des larves) ou la restructuration des rivages (plages artificielles, ports, endigages…). Enfin, elle fut longtemps l’objet de prélèvements abusifs (trophée) par les plongeurs.

Face à la raréfaction de cette espèce, des mesures de protection ont été prises dés 1992 en France. Sa capture, sa naturalisation, son prélèvement vivant ou mort, sa vente ou achat sont strictement interdits. Elle figure également dans l’annexe II de la convention de Barcelone (1995) qui liste les espèces Méditerranéennes en danger ou menacées. De plus, elle est incluse dans la législation communautaire (Annexe IV de la directive habitat 92/43/CEE du Conseil concernant la conservation des habitats naturels ainsi que la flore et la faune sauvages).

Mais récemment de nouvelles menaces pèsent sur cette espèce, liées au changement climatique et aux épizooties.

La grande nacre, en tant que filtreur actif est donc un bio-indicateur fiable des changements physico-chimiques de son environnement. C’est une espèce sensible à la diminution du pH et à l’augmentation des températures dans les océans. Le phénomène d’acidification impacte directement la coquille de la grande nacre composée de carbonate de calcium (CaC03). Un pH faible (7,2-7,6) entraine une diminution de la croissance, mais également la perte des épines allant jusqu’à la dissolution partielle ou totale de la coquille impactant sa survie. Cependant, un espoir existe, puisque les juvéniles se développent au sein de l’herbier de posidonie, sur un sol acidifié par le rejet de C02 et laisse penser que cette espèce serait capable de s’acclimater à un pH plus faible et deviendrait ainsi plus tolérante à l’acidification des océans (tolérance prévue en 2100 ; pH [7,6-7,8]).

Concernant le réchauffement des eaux, les prévisions estiment que la température de la mer Méditerranée augmentera de 3-4°C d’ici 2100 ce qui favorisera le développement des infections bactériennes, virales et parasitaires. C’est l’hypothèse énoncée actuellement pour expliquer l’apparition du parasite Haplosporidium pinnae qui décime actuellement les populations de grande nacre.

UNE VAGUE DE MORTALITÉ SANS PRÉCÉDENT...

Depuis l’automne 2016, une mortalité massive d’origine naturelle touche les grandes nacres et met l’espèce en danger. Appelée épizootie, cette épidémie touche les animaux de la même espèce ou d’espèces différentes, dans une région donnée.

Le responsable de cette hécatombe est une espèce de protozoaire parasite Haplosporidium pinnae, découverte en 2018. D’après les scientifiques, ce parasite serait naturellement présent dans le milieu marin, en latence, mais le phénomène de réchauffement climatique entrainant l’augmentation des températures de l’eau favoriserait une virulence accrue du parasite. Il semble infester une seule espèce de mollusque, la grande nacre, en altérant la glande digestive de celle-ci, qui ne peut plus s’alimenter et meurt.

Cet épisode mortifère a commencé dans la région d’Alicante, en Espagne et autour des Baléares fin 2016.

Été 2017, l’épizootie gagne tout le littoral méditerranéen espagnol (Vázquez-Luis et al., 2017)

Au cours de l’été 2017, la mortalité a progressée pour atteindre la côte catalane puis le golfe d’Ajaccio. Durant l’été 2018, elle s’est propagée sur l’ensemble des côtes de la Corse. Depuis, ce phénomène continue à s’étendre à Villefranche sur mer, à Monaco, et des individus parasités ont été signalés à Malte, en Tunisie, au Maroc, en Grèce et en Turquie.

Cet évènement historique a conduit à une diminution de presque 99 % de la population de nacres espagnoles et de 100 % dans certaines zones de Méditerranée depuis 2016. Cette épizootie s’est propagée en très peu de temps et a entraîné une quasi éradication des populations infestées.

Extension de l’épizootie sur les côtes méditerranénnes (IUCN – juin 2019)

En décembre 2019, en raison de la réduction drastique des populations, de l’étendue géographique de l’épizootie et de la présence du pathogène dans l’environnement, l’UICN (Union Internationale pour la Conservation de la Nature) a inscrit la grande nacre de Méditerranée comme espèce « en danger critique d’extinction » (CR) sur la Liste Rouge des Espèces Menacées. L’espèce a atteint ce niveau – avant l’extinction – directement, sans passer par aucun des six précédents !

Nacre morte – février 2020 / Cannes ©Lidwine Courard

Fiche informative de l’UICN Med – juin 2019

Nacre morte – mars 2020 / Cannes ©Samuel Jeglot

Pour faire face à cette situation, l’UICN a mis en place des recommandations qui visent à mieux comprendre cette situation, afin de préparer un programme d’actions dans les zones touchées et non affectées.

  • Cartographie de la situation sur toutes les côtes, surveillance de l’état des populations tous les 2 ou 3 mois afin de suivre en temps réel l’évolution de l’épizootie et savoir si du recrutement larvaire a lieu (reproduction).
  • Surveillance des zones de repeuplement naturel et développement d’actions visant à promouvoir la survie de ce recrutement dans ces zones (Aires Marines Protégées).
  • Identification des « hot spots » où d’importantes densités de nacres existent. Il est recommandé de transférer sélectivement les nacres de ces zones pour analyser leur reproduction ou le remplacement dans des zones sans nacres (en particulier dans les baies internes ou les petites lagunes). Ce genre de transfert doit être réalisé avec précaution pour éviter la propagation du parasite.
  • Amélioration du recrutement larvaire et vérification que les larves provenant de sites non affectés ou d’individus résistants atteignent les zones touchées, contribuant à des récupérations éventuelles.

Le rétablissement éventuel des populations touchées dépendra principalement de l’existence de populations non touchées, d’individus résistants et du recrutement naturel.

Les plongeurs ont un rôle important à jouer dans ce suivi des populations de grande nacre. Les opérations de sciences participatives sont indispensables aux biologistes marins, trop peu nombreux si l’on considère l’ensemble de la façade maritime de la Méditerranée. Ils ne peuvent en effet assurer des « veilles » et des « prospections » permanentes. Le recours à des bénévoles est alors la seule façon de recueillir des données précieuses sur les espèces les plus menacées.

Les derniers suivis confirment l’absence d’emprise du parasite dans les étangs littoraux ou dans des zones sous l’influence d’apports d’eau douce. Ces observations laissent un espoir concernant la survie de l’espèce. Peut-être pourra-t-on y sauver l’espèce.

Le saviez-vous ?

Le byssus est une fibre naturelle fabriquée par la grande nacre pour s’accrocher à un support. Lorsque ce mollusque se nourrit, il sécrète une bave particulière qui, au contact de l’eau de mer, se solidifie et devient une sorte de soie marine. Le byssus est connu depuis des temps très anciens et a été découvert par les Phéniciens lorsqu’ils commerçaient dans le bassin méditerranéen (entre 1200 et 300 avant J.C). Ce matériau naturel a longtemps été exploité pour confectionner des vêtements (robe, gants, bas, bonnets, linge…) des plus hauts dignitaires politiques et religieux. En effet, après être lavés, séchés, peignés, filés et trempés durant 24 heures dans un jus de citron pour leur conférer un éclat, puis exposés à la lumière, les fils de byssus, arborent une couleur or d’où le surnom de soie de mer. Un millier de grandes nacres étaient nécessaires pour obtenir 250 grammes de fils d’or ! En 1868, la cape nuptiale que revêtit Maria Pia de Savoie pour ses noces avec le roi du Portugal, a nécessité 2700 nacres pour la tisser ! Et selon la légende, le byssus aurait également servi à tisser la célèbre Toison d’or de l’Antiquité grecque.

De nos jours, en Sardaigne, Chiara Vigo est la dernière représentante des « Maîtres du byssus » et continue à faire perdurer le savoir-faire de cette tradition ancestrale. Cette sarde a conscience de ce que la nature nous donne et a le souci de la protéger ; aussi pendant 7 ans elle étudie le mollusque et met au point une technique de récolte du byssus qui n’altère pas la vie de la grande nacre. En effet, elle observe qu’au début de chaque mois de Mai, le sédiment ramolli et qu’on peut alors en détacher le mollusque pour prélever une partie de sa « barbe », avant de le replanter dans la vase où il continuera à se développer normalement, les filaments tranchés reprenant leur lente croissance. C’est ainsi que Chiara continue de récolter les fils de soie pour exercer son art ancestral.

Les propriétés adhésives, l’extensibilité et la résistance aux UV, au sel, aux hautes et basses températures de ce matériau naturel intéressent les chercheurs dans le domaine du médical. En effet, sa composition riche en élastine et en collagène en fait de lui la colle la plus puissante au monde, résistante à l’eau et pourrait être considérée dans les prochaines années pour la fabrication de prothèses osseuses ou encore de fil pour refermer les plaies.

BIBLIOGRAPHIE

Texte : Eva Jacquesson / NaturDive